Le jour où Gabriel Yared s’est énamouré du cinéma


Posté le 12.10.2020 à 11h25


 

En 1979, le compositeur franco-libanais se voit confier par Jean-Luc Godard la musique de Sauve qui peut (la vie), son nouveau projet de long métrage. Une collaboration qui va lancer sa carrière au cinéma et influencer sa méthode de travail.


Un César en 1993 pour L’Amant, de Jean-Jacques Annaud. Puis, trois ans plus tard, un Oscar pour Le Patient Anglais, d’Anthony Minghella. Si Gabriel Yared a déjà inscrit son nom au panthéon du 7e Art pour ses sublimes orchestrations - comment ne pas citer également 37°2 le matin (1986), de Jean-Jacques Beineix -, il continue de marquer chacun des réalisateurs avec lesquels il collabore par la singularité de son approche, qui s’imprègne, désormais, de toutes les étapes de la réalisation d’un film.


GABRIEL-YARED-copyright-Laurent-KoffelCopyright Laurent Koffel

 

Un processus créatif façonné tout au long d’une carrière durant laquelle cet autodidacte né en 1949 au Liban a croisé plusieurs générations de cinéastes, de Costa Gavras à Xavier Dolan, en passant par Youssef Chahine, Jean-Pierre Mocky et Oliver Assayas. Mais sa collaboration la plus déterminante fut peut-être celle qui plongea définitivement son talent dans le grand bain du cinéma.

À 30 ans seulement, la réputation d’orchestrateur hors pair dont jouit aujoud’hui Gabriel Yared n’est déjà plus à faire dans le milieu de la musique lorsqu’en 1979, les portes du cinéma s’ouvrent à lui de façon inattendue. Le compositeur est contacté par Jean-Luc Godard sur les conseils de Jacques Dutronc, qui a été séduit par le travail du compositeur franco-libanais aux côtés de Françoise Hardy. Godard prépare alors Sauve qui peut (la vie), un long métrage qu’il souhaite déployer telle une partition musicale.

Les deux hommes se rencontrent mais la proposition initiale du cinéaste - orchestrer de l’ouverture du deuxième acte de La Gioconda, de Ponchielli - est repoussée par Gabriel Yared, qui ressent alors le besoin d’expérimenter autre chose après une période d’orchestrations féconde avec Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Gilbert Bécaud ou encore Charles Aznavour. « J’ai reçu un mot de sa part quelques jours après notre rencontre. Il me proposait finalement de composer une musique originale, et de faire en sorte que le passage de Ponchielli y soit subliminal ».

Gabriel Yared se met au travail et demande à voir les images du film. Mais le cinéaste décline et se contente de lui « raconter l’histoire ». Pendant l’enregistrement en studio, Godard « reste silencieux » tandis qu’un seul musicien accompagne le compositeur dans son travail en raison du budget restreint du long métrage. « Il a pris les bandes et a monté le film sur ma musique. J’ai été épaté par sa manière de l’appréhender, de la couper parfois brutalement. Il l’a porté aux nues dans son montage. Je me suis dit que cet homme avait vraiment une oreille musicale. Quelques années plus tard, Jean-Jacques Beineix est venu me voir parce qu’il avait entendu dire que j’aimais travailler avant l’image. J’ai composé toute la musique de 37°2 le Matin avant d’avoir vu le film ».

Depuis cette collaboration avec Jean-Luc Godard, Gabriel Yared a créé la musique de près d’une centaine de films et ajusté sa méthode de travail. De ses compositions suivantes, il tirera la certitude qu’au cinéma, le mariage entre l’image et la musique n’est jamais aussi beau que lorsque cette dernière a préalablement imprégné l’oreille des acteurs d’un film et l’accompagne ensuite dans chacune des étapes de sa réalisation. « Aujourd’hui, je la travaille avant, pendant et après. Ce travail est soutenu par beaucoup de discussions avec le réalisateur et beaucoup de propositions d’ambiances, de thèmes, ou par des rencontres avec les acteurs. Un fois le montage terminé, il y a aussi un travail d’artisanat pour apporter des couleurs à chaque scène ».

 

Benoit Pavan

Catégories : Lecture Zen