Master class d’Alice Rohrwacher

« Chercher d’autres chemins »


Posté le 13.10.2020 à 19h48


 

Dans une brillante Master Class, Alice Rohrwacher a raconté sa découverte du cinéma et sa foi répétée en « l’indépendance de la pensée ».

 

Sur son rapport au cinéma :

« Pourquoi le cinéma ? J’aimerais répondre avec des mots empruntés à la cinéaste Larissa Chepitko. Elle a dit un jour qu’elle aimait beaucoup de choses, mais qu’elle n’était spécialiste de rien. C’est un peu ça, faire du cinéma : il faut savoir toucher un peu à tout. Le cinéma réunit les choses. C’est un lieu de réunion ».

« Avec ma famille, nous avons vécu de manière très isolée. Nous avions une télévision, qui était monopolisée par mes parents. C’est avec eux que j’ai découvert 1900, de Bertolucci. Mais on était tellement isolés que pour aller au cinéma, ce n’était pas évident. D’autant que dans les années 1980, la salle de cinéma était en crise en Italie. Quand j’ai eu l’opportunité de vivre dans une grande ville, j’ai pu aller plus souvent au cinéma ».

« La première fois que mes parents m’ont emmenée au cinéma, j’ai vécu grande excitation. Je peux dire que ma première expérience au cinéma m’a en quelque sorte choquée. J’ai vécu une grande privation étant petite, puis un grand amour une fois adulte. Ça a été la plus grande nouveauté de ma vie, même si le cinéma avait déjà une grande histoire derrière lui ».

« A bout de souffle est le premier film qui m’a sidérée. Je découvrais alors qu’il y a beaucoup d’autres chemins possibles pour raconter des histoires. Il y a des territoires inconnus dont on ressort avec une mémoire, une expérience qui donne l’impression qu’on l’a déjà vécue. J’aime chercher d’autres chemins, mais je m’efforce de ne jamais sauter dans le vide ».


MC-Alice-Rohrwacher-2Copyright Institut Lumière / Loic Benoit

 

Sur Corpo Celeste :

« Ce film a été une grande coïncidence de beaucoup de choses inexplicables. J’avais commencé à travailler dans le théâtre et j’aimais beaucoup écrire. Je voulais faire un documentaire, mais comme je sentais trop d’agressivité dans la réalité, j’ai décidé de créer une fiction. J’étais tellement certaine qu’on ne me donnerait jamais l’argent pour le réaliser que je l’ai écrit en étant très libre, sans même me sentir obligée de respecter les codes du scénario. Il était très littéral. On a finalement reçu l’argent et j’ai eu peur car je n’avais jamais tourné. Mais j’ai senti une certaine confiance autour de moi et j’y suis allée ».

« Je voulais raconter comment on apprend le catéchisme. Je viens d’une famille athée mais comme j’ai toujours été curieuse de savoir ce que c’était, je me suis inscrite. J’ai été très surprise car dans une Italie rongée par la culture « berlusconienne », je me suis rendue compte qu’on utilisait les mêmes codes de la télévision pour enseigner le sacré. Avec la fiction, on pouvait aller plus proche encore de la réalité. Ce que j’aime dans les premiers films, c’est qu’ils sont imparfaits. Ce sont des films qui cherchent ».

 

Sur Les Merveilles :

« Après Corpo Celeste, je voulais faire un film sur ce moment où on change notre regard sur notre famille et on arrive à la regarder avec compassion. Je voulais raconter un conte de fée sur une jeune fille qui rencontre une fée (Monica Bellucci, qui est une star de la télévision). Grâce à l’amour de cette star, elle arrive à changer son regard sur son père. C’est un film qui a à voir avec ma vie, mais qui n’est pas autobiographique. Je voulais raconter ce moment où on comprend le choix que nos parents ont fait. C’est un film grâce auquel j’ai confirmé que les gens que l’équipe constituée lors de mon premier film étaient très importants dans mon travail. On est devenus une équipe ».

 

 

MC-Alice-Rohrwacher-1
Copyright Institut Lumière / Loic Benoit

 

 

Sur Heureux comme Lazzaro :

« Après Les Merveilles, je me suis retrouvée dans une période où j’étais contre cette idée d’un personnage qui doit absolument changer pour plaire aux codes du scénario. Dans ma vie, les gens bien que j’ai rencontrés n’ont pas changé. Je voulais faire un film sur quelqu’un qui ne change pas, mais dont le monde change. Et surtout quelqu’un qu’on peut reconnaître mais auquel on ne peut pas s’identifier : un personnage mystérieux. Quelqu’un qui ne se pose pas de question sur son identité ou son destin, mais qui regarde, observe. Le résultat a été un film sur la possibilité qu’on a d’être quelqu’un de bien. C’est aussi un film qui veut rétablir les responsabilités. Car il y a ceux qui subissent l’histoire, comme les paysans. Et les autres ».

 

Sur son choix de débuter ses films par des scènes plongées dans l'obscurité :

« Quand j’ai réalisé Corpo Celeste, je me suis demandé quelle relation avoir avec mon spectateur dès la première scène. J’ai trouvé qu’il serait intéressant de commencer le film dans le noir pour impliquer le spectateur, l’inciter à se créer une image. Puis, une lumière nous emmène dans une histoire. C’est un peu comme un jeu : on ouvre les yeux et on se retrouve dans un film ».

 

Sur son utilisation de la pellicule :

« Avec la pellicule, on ne peut pas tout contrôler. C’est ce qui est beau. C’est comme la différence entre aller au cinéma ou regarder un film chez soi. Dans son canapé, on peut faire des pauses alors qu’au cinéma, on doit se laisser embarquer par le temps du film ».

 

Sur l’aspect politique de son cinéma :

« J’ai une vision politique de ce que je fais. Lazzaro, par exemple, évoque les paysans, qui sont des victimes de l’histoire et qui ne pourront jamais la changer. Dans Novecento, on avait l’illusion qu’on pouvait changer l’histoire. Je suis très pessimiste mais je continue à croire avec optimisme. Je ne souscris à aucun parti. Mon pays traverse un moment de racisme très fort. Même quand l’Italie était fasciste, elle n’était pas raciste. L’unique chose que je peux faire, c’est de produire des images qui peuvent produire l’indépendance de la pensée. En revanche, je ne sais pas s’il existe un mouvement politique en Italie qui aime l’indépendance de pensée. Mon désir, c’est aussi de travailler de façon à ne pas être victime d’un pouvoir provisoire qui gêne la création d’un monde et de faire réfléchir les gens ».

 

Propos recueillis par Benoit Pavan

 

 

 

 

 

Catégories : Lecture Zen