Viggo Mortensen, sur la route

 


Posté le 7.10.2020 à 15h26


 

Viggo Mortensen a plusieurs vies. Poète qui se souvient de ses rencontres, photographe de paysages intenses en clairs obscurs, musicien, peintre figuratif en quête d'abstraction, fan du club de foot argentin San Lorenzo, admirateur du génie du dessin absurde et cruel : Marcel Dzama, jusqu'à signer la préface de son livre : The Berlin Years en citant Tarkovski : "les artistes existent parce que le monde est imparfait", Viggo Mortensen est aussi au festival Lumière acteur et réalisateur.

 

Indian Runner

Copyright Columbia / DR

 

En trente six ans de carrière et plus d'une cinquantaine de films, le corps fin et les cheveux maniables dans tous les sens de Viggo Mortensen ont adopté pas mal d'identités. Amish, yakuza américain, Lucifer, amoureux attentif de Nicole Kidman (Portrait de femme, Jane Campion, 1996), officier formateur sans pitié de Demi Moore (A armes égales, Ridley Scott, 1997), ou génial traître en chaise roulante sadisé par Al Pacino (L'impasse, Brian De Palma, 1993), Mortensen fut tout cela, mais beaucoup plus encore. Car l'acteur prête son visage en lame de couteau propice à des gros plans où il apparaît volontiers dangereux, dans des films de productions indépendantes montrant une Amérique white trash, désarmante et sans pitié.

Le plus bel engagement de Mortensen pour ces histoires aux racines américaines profondes est The Indian Runner (1991). Ce premier film réalisé par Sean Penn est inspiré par une chanson de Bruce Springsteen (autre grand explorateur de l'Amérique des outsiders), intitulée Highway Patrolman. "Franky n'est pas un bon gars. Je l'attrape quand il s'égare comme n'importe quel frère le ferait"... d'après ces paroles, Penn tisse le récit d'une relation conflictuelle, mais fidèle, entre deux frères opposés : Joe le doux, et Frank l'insensé. Tatoué rudement, torturé par une histoire américaine qui ne veut pas gérer ses anciens soldats, Mortensen embrasse un Frank que son agressivité anéantit, sans avoir la volonté de maîtriser quoi que ce soit. C'est le premier rôle marquant de l'acteur, mais pas son dernier voyage au pays de la violence.

 

A-HISTORY-OF-VIOLENCE-visuel

Copyright Bender-Spink Inc. /DR


Avec la décennie 2000, Mortensen devient la créature consentante des expériences du cinéaste charmant, qui aime tordre les corps et les esprits : David Cronenberg. Avec lui, le comédien inaugure des personnages doux, mais capables d'une brutalité inouïe et professionnelle, qui le surprend lui-même, et le navre. Mortensen, c'est le danger malgré lui, un père de famille aimant, bon époux, gentil restaurateur, mais qui se révèle tueur plus terrible que le Diable dans le splendide A History of Violence de David Cronenberg (2005). Le cinéaste canadien se sert de la douceur de la voix de Mortensen, de sa timidité, sa démarche tranquille et sa gentillesse, pour le transformer en américain qui ne se rend pas compte que, porter une arme aujourd'hui, est un acte d'une malsaine porosité.

En revanche, doté d'une épée, qu'il manie avec un sens chorégraphique très au point dans des films historiques, Mortensen donne à des héros au premier degré, une ferveur aventurière emballante. Il est à jamais pour la planète entière, le noble Aragorn de la trilogie de Le seigneur des anneaux (Peter Jackson, 2001, 2002, 2003), mais aussi le matois Capitaine Alatriste (Agustin Diaz Yanes, 2005). Des rôles chevaleresques prédestinés, pour l'artiste fondateur d'une petite maison d'édition du nom de Perceval Press. Perceval, c'est le chevalier consacré à la quête du Graal, celui qui naturellement y croit et se bat, exactement comme l'instituteur de Loin des hommes (David Oelhoffen, 2014) en pleine guerre d'Algérie vue par l'esprit engagé d'Albert Camus. C'est aussi par implication que Mortensen se fait une silhouette empâtée années 60, avec un sourire goguenard en chauffeur réglo qui va apprendre la tolérance au contact d'un artiste afro américain confronté au racisme, dans le très efficace Green Book : Sur les routes du sud (Peter Farrelly, 2018).

 

CAPITAINE-ALATRISTE-visuel

Copyright Estudios Picasso / DR


"Vous devez rêver pour pouvoir vous lever le matin" disait l'excellent Billy Wilder. Mortensen le sait assurément car la dernière "dimension Mortensen" (peut-être la plus profonde ?), est celle du rêve d'un autre, une famille. Elle est évocatrice sur les peintures de l'acteur, mais aussi dans des films-voyages où le temps ne compte plus, des expériences très spéciales, parfois teintées de bohême, que sont le hippie Captain Fantastic (Matt Ross, 2016), le prodigieux Jauja (Lisandro Alonso, 2014), et le tout récent tragique et poignant Falling (2020), qui est la première réalisation de Mortensen également acteur dans son film. Ce sont tous des héros traumatisés au coeur plein, marqués par le rêve impossible de faire la paix avec un des membres de leur famille : leur femme, leur fille ou leur père. Un rêve au plus privé, au plus secret qui se dévoile. Une vraie gageure pour un artiste humble et discret.

 

Virginie Apiou

 

 

Viggo Mortensen
Rencontre avec Viggo Mortensen le dimanche 11 octobre à la Comédie Odéon à 15h30
Il présentera aussi
The Indian Runner le dimanche 11 octobre à l'Institut Lumière à 14h45
Falling le dimanche 11 octobre au Pathé Bellecour à 17h30 et le lundi 12 octobre à l'Institut Lumière à 20h45
A History of Violence le dimanche 11 octobre au Zola / Villeurbanne à 19h30
Captain Fantastic le dimanche 11 octobre à l'UGC Ciné Cité Confluence à 20h30
Green Book : Sur les routes du sud le lundi 12 octobre au Cinéma Comœdia à 10h45
Loin des hommes le lundi 12 octobre au Lumière Terreaux à 14h45

Catégories : Lecture Zen