Posté le 15.10.2020 à 10h32
Copyright Christophe Brachet
« Allez ! Allez ! Allez ! Vas-y ! Vas le raconter…
- Hier, j’étais au cinéma ! J’ai vu un super film ! J’ai vu Rambo ! » Par cette suite de petites exclamations scandées de façon hirsute, en jean noir et t-shirt blanc, Albert Dupontel, tout à coup, est apparu sur scène dans les années 1990. L’acteur a lâché ses études de médecine, pour se former au théâtre auprès des seigneurs de la scène que sont Ariane Mnouchkine et surtout Antoine Vitez. Il n’y reste pas longtemps car sa vocation, c’est le cinéma. Pour accéder à son rêve, Dupontel écrit et interprète seul des sketches avec une vigueur sportive très différente de tout ce qui se fait alors. Sa performance tape dans l’œil de Patrick Sébastien qui le propulse, lui et ses personnages bruts et désarmants, dans l’univers très populaire des samedis soir de grande écoute à la télé. Grâce à cette exposition, la fiction, et bientôt le cinéma, enfin arrivent !
C’est d’abord le format court qui va définitivement poser comme acquis l’atypisme de l’imaginaire d’Albert Dupontel, un style entre la poésie douce et féroce d’un Chaplin, et l’envie trash des cinéastes de comédies sociales italiennes à la Dino Risi. Profondément créatif, Dupontel développe ainsi une série de petits programmes choquants justement intitulés les « Sales histoires » pour la chaine branchée du moment Canal +. On y voit le désormais acteur, auteur et réalisateur raconter des choses horriblement drôles et terminer par un plan où il regarde la caméra en ponctuant un commentaire faussement embarrassé « Sale histoire ».
« J’m’appelle Bernie Noel et j’aime bien les hyènes ! », voici Bernie, la première « sale histoire » de Dupontel, acteur, auteur et réalisateur de films. En 1996, le public français rit et s’émeut devant le destin de l’étrange Bernie, orphelin, à la recherche de ses parents, qui règle ses problèmes à grands coups de pelles dans la gueule, quand il ne dévore pas vivant en les décapitant avec les dents des serins en concluant que ce qui est embêtant quand on mange les oiseaux « c’est les becs ». Bernie est un immense succès, une performance d’autant plus remarquable que l’humour du film est un mélange d’innocence et d’ironie très transgressive. C’est un des codes Dupontel : se servir de l’humour noir pour porter des récits politiques et sociaux très modernes, ceux des déclassés angoissés, des outsiders pas doués, des « Enfermés dehors », titre de son troisième film réalisé en 2006. Autour de lui, il créée naturellement une troupe de comédiens aux physiques de messieurs au bout du rouleau comme Nicolas Marié, Philippe Uzan, Bouli Lanners, Philippe Vuillermoz… Tout ce petit monde au débit de voix frénétique et irrégulier comme au bord du gouffre, évolue, filmé par une caméra aux lentilles déformées et un travail du son qui verse volontiers vers le cartoon, donnant un point de vue bizarre, celui de la vie de ceux qui vivent de débrouilles plus délirantes les unes que les autres. En tout, Dupontel réalisateur, c’est aujourd’hui près de vingt ans de réalisations folles en sept longs-métrages, quelques Césars amplement mérités pour 9 mois ferme (2013) ou l’histoire d’amour non consentant entre une femme de loi et un fugitif très instinctif, et Au revoir là-haut ! (2017) adaptation d’un roman historique de Pierre Lemaître.
Quand il ne tourne pas, Dupontel tourne pour les autres… Il devient même un acteur très demandé. Il y a les cinéastes qui voit dans le sourire de l’acteur la marque des drôles de types troublants, voire dangereux comme dans Un héros très discret (Jacques Audiard, 1996). Michel Deville exploite sa voix douce et sûre pour le propulser médecin aguerri et politique dans La Maladie de Sachs (1999). Enfin, l’acteur accepte des rôles plus sentimentaux dans des comédies populaires comme Odette Toutlemonde (Eric-Emmanuel Schmitt, 2006). En 2020, habité plus que jamais par le cinéma, Dupontel porte son tout dernier message Adieu les cons, une quête d’amour entre une femme qui cherche son enfant et un chômeur maladroit, une explosion de vie et de charme dans tous les sens, qu’il projette au festival Lumière !
Virginie Apiou