Posté le 15.10.2020 à 14h32
Tapie dans un vallon encaissé de la Meuse, Seraing, la ville d’enfance des frères Dardenne, cristallise les thématiques sociales qu’ils développent sur l’écran : le déclin industriel, la précarité, l’immigration, etc.
DOCUMENTAIRES, ŒUVRES DE MÉMOIRE
Conserver la mémoire du mouvement ouvrier et de cette région en pleine transformation. Vivier documentaire de l’histoire ouvrière en région liégeoise, le collectif Dérives créé en 1975 par les frères Dardenne avait déjà pour but de témoigner de l’histoire indus-trielle de leur Wallonie francophone. Dans Le chant du Rossignol (1978), sept résistants se souviennent de leur combat sur leur territoire, et dans Lorsque le bateau de Léon M. descendit la Meuse pour la première fois (1979), le bateau de Léon suit les canaux du fleuve d’une région insurgée...
ROMAN SOCIAL DE LA SIDÉRURGIE
« Les frères », comme on les appelle tendrement dans leur région, ont poussé à Seraing, dans la banlieue de Liège, bassin sidérurgique où repose dans ce qu’on nomme « le fond de Seraing », une vieille ville industrielle élevée au rythme de l’histoire de l’acier et du charbon. Le début du siècle connaît l’essor des cristalleries Val Saint Lambert, et voit tourner les charbonnages à plein régime, faisant de la petite ville un lieu prospère, sans jamais devenir bourgeois. Cette ville où ils ont grandi, les Dardenne l’ont pourtant vue se déliter, et se vider inexorablement de sa population au cours de leur adolescence. Vers la fin des années 1960, l’ancien fleuron industriel de la Wallonie périclite, passant d’une trentaine de hauts-fourneaux à une disparition quasi-complète de ces symboles du territoire. Les célèbres usines Cockerill, fiefs de l’acier wallon, survivent à peine. Ville d’immigration via ce passé industriel, elle sombre dans le dénuement et la drogue, et se voit touchée de plein fouet par une pauvreté dépeinte inlassablement par les frères cinéastes, au bout d’une caméra jamais distante.
LES FILMS DU FLEUVE
La Meuse, nerf fluvial de la guerre, actrice à part entière de leurs films, qui imprègne jusqu’au nom de leur société de production, Les Films du Fleuve. Théâtre de drames et de multiples noyades, cet axe commercial majeur fut aussi le salut d’une région bombardée pendant la guerre, où tout un réseau d’entraide s’était mis en place. Dans le cinéma des Dardenne, les rives du fleuve ne sont ensoleillées que dans Le Gamin au vélo tourné en 2011. Sinon le ciel est bas et gris. La Meuse est un élément de décor, au même titre que les terrils, montagnes de résidus miniers qui parsèment leur cinéma comme le paysage wallon, ou que les maisons en briques rouges, les pavillons coordonnés, et les imman-quables petites parcelles de jardins ordonnés.
Charlotte Pavard