Le Mandat, miroir doux-amer de la société sénégalaise

 


Posté le 15.10.2020 à 11h45


 

Considéré comme l'un des chefs-d'œuvre d’Ousmane Sembène, Le Mandat (1968) brosse un portrait sans concession - mais non sans humour - de la nouvelle bourgeoisie sénégalaise apparue dès 1960 avec l'indépendance du pays. Alain Sembène, le fils du cinéaste mort en 2007, revient sur la genèse de cette comédie douce-amère restaurée par Studiocanal.

 

MANDAT-visuel

 

Dans quel contexte Ousmane Sembène, votre père, a-t-il réalisé Le Mandat ?

En 1968, il sortait d’un premier grand succès au cinéma avec La Noire de… (1966), qui lui a apporté une renommée internationale. C’était la première fois qu’un Africain issu de l’Afrique noire francophone réalisait un film sur le territoire sénégalais. Mon père avait d’abord été connu en tant que romancier, notamment grâce à Les Bouts de bois de Dieu (1960). Le Mandat est l’adaptation d’un roman éponyme qu’il avait publié aux éditions Présence africaine en 1965. Il y évoque la société africaine à travers le prisme de son homologue sénégalaise. Mon père en avait une vision assez critique et dans le film, il dénonce les mentalités de l’époque et le fonctionnement de l’administration. Quand j’étais plus jeune, je percevais ce film comme une comédie. Avec le temps, Le Mandat a plutôt tout d’une tragédie car on y voit surtout comment la société est cruelle au Sénégal. Dans ses films et dans ses livres, mon père savait dépeindre avec brio la nature humaine.

Comment le film a-t-il été reçu au moment de sa sortie ?

Sa réception a été mitigée. D’un côté, il a été très bien perçu par la société sénégalaise dans son ensemble. On peut même affirmer qu’il y a eu un très grand retentissement et qu’il continue d’y jouir d’une belle réputation. De l’autre, les autorités sénégalaises ont un peu grincé des dents. Mon père a toujours eu une relation très difficile avec le pouvoir. J’ai fait mes études en Union Soviétique et dans les années 1980, j’ai rencontré l’ambassadeur du Sénégal à Moscou. Nous avons évoqué les œuvres de mon père et il a déploré qu’elles donnent une mauvaise image du Sénégal.

La plupart de ses autres films ont aussi déplu au pouvoir en place...

Effectivement. Les relations avec le gouvernement de Léopold Sédar Senghor ont toujours été mauvaises. Le Mandat a été toléré mais d’autres films ont créé des remous. Dans Xala (1974), il caricature le président. Dans long métrage suivant, Ceddo (1977), il s’attaque à l’introduction des religions catholiques et musulmanes. Le film a été interdit pendant près de dix ans. Mon père était brut de décoffrage et n’hésitait pas à dire tout haut ce qu’il pensait, notamment au travers de ses œuvres. Cela n’a évidemment jamais plu aux autorités.

Quel impact a eu Le Mandat sur ce qu’il dénonce ?

Aucun. Au contraire, la situation est pire maintenant. Le film a donné raison à mon père. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’à partir d’une histoire simple, il a su décrire les dysfonctionnements de la société sénégalaise. Il n’y a pas un de ses long métrages qui n’ait pas rencontré le succès et marqué le pays d’une manière ou d’une autre.

Un mot sur le tournage et la restauration du film ?

Le Mandat est une collaboration franco-sénégalaise. Mon père tournait toujours avec la même équipe, composée de Sénégalais et de deux Français, dont Paul Soulignac qui s’occupait de la photographie. Les prises ont été doublées : l’une était en français et l’autre en wolof. La version française a finalement été abandonnée car il n’était pas satisfait de son rendu. Elle n’a jamais été montée et les rushs n’ont jamais été retrouvés. La restauration du film a été menée par la Cinémathèque de Bologne. Deux films de mon père, un court-métrage (Borom Sarret, 1963) et La Noire de… avaient précédemment été restauré par la fondation de Martin Scorsese. L’ensemble de ses films sont actuellement en cours de restauration par Criterion.


Propos recueillis par Benoit Pavan

 

Catégories : Lecture Zen