Alice Rohrwacher, au nom du peuple italien

Posté le 8.10.2020 à 13h50

Alice Rohrwacher est italienne et cinéaste. Une double identité qu'elle décline sans relâche à travers ses films. De l'Italie, elle retient la terre au sens physique. Du cinéma, elle cultive les grandes traditions de ses pères : Fellini, De Sica, Olmi, Pasolini, Bellocchio, Rosi, Bertolucci, Risi... Elle les garde intactes et renouvelées à la fois. En trois oeuvres aux titres fabuleux : Corpo celeste (2011), Les Merveilles (Le meraviglie, 2014), et Heureux comme Lazzaro (Lazzaro felice, 2018), la jeune réalisatrice impose des films de groupes humains à la fois politiques et poétiques. Des films à elle !

Collection Institut Lumière - Jean-Luc Mège Photography

Rohrwacher a parfaitement conscience de vivre dans une Italie, terre de régions cinématographiques légendaires. Si Marco Bellocchio traite des petits peuples d'Emilie Romagne, Ermanno Olmi ceux des berges du fleuve Pô, ou Federico Fellini les rues de Rome, Rohrwacher met ses pas en Calabre dans Corpo celeste, en Ombrie pour Les Merveilles et en Lombardie avec Heureux comme Lazzaro, des territoires liés par l'atavisme typique de son pays. Elle y filme le religieux avec Corpo celeste. À l'instar de Bellocchio fasciné de façon psychanalytique, mais aussi miraculeuse, par le lien entre l'Italie et le catholicisme, Rohrwacher interroge l'ancrage religieux sans jugement militant. Elle profite de son époque où une cinéaste peut, peut-être enfin, poser la question calmement : pourquoi être encore un croyant selon un dogme aujourd'hui ?

Rohrwacher cherche la façon de vivre de demain. Petite soeur de Bellocchio qui convoque souvent des effets étranges et prodigieux dans ses films, la réalisatrice utilise ce que le cinéma permet : un recours au fantastique réel. Lazzaro, jeune homme gracieux, meurt et ainsi ressuscite quelques décennies plus tard, inchangé, car tout doit être possible pour qui est humainement irréductible, tels les personnages aventureux chers au Vittorio De Sica de Miracle à Milan. Créative, la cinéaste imagine des apparitions mystifiantes volontairement en toc, des irruptions incongrues et sans gêne, influencées par la trivialité de la télé, qui enchantait tant Fellini. Ainsi Monica Bellucci dans Les Merveilles surgit en déesse en plastique. Elle est une icône médiatique qui se penche vers Gelsomina (même prénom que l'héroïne de La Strada de Fellini), l'adolescente du film, telle une fée frelatée d'un Disney. Tout est possible au cinéma, oui, et tout peut entrer dans le champs à la manière toujours de Fellini qui imaginait des cohabitations improbables. Alors quand le père irascible de Les Merveilles côtoie subitement un chameau installé au milieu de la ferme familiale, pour le plus grand bonheur de ses filles, c'est une joie !

Derrière cette parade poétique dégagée par les films de Rohrwacher, brille enfin un discours puissant contre l'exploitation entre classes sociales en milieu rural, et la clochardisation des villes. Sans cynisme, ni ironie, Rohrwacher explore la question que ce sont posés avant elle les Risi, Pasolini, Elio Petri ou Bertolucci, de : vivre en Italie aujourd'hui. Lazzaro, Gelsomina, et Marta y répondent avec un regard neuf. Instinctifs et spirituels, ils accueillent sans défiance leur façon de vivre à la marge et parfaitement à leurs yeux égalitaire. Cette sorte de sagesse ancienne dans des corps jeunes qui ne se laissent pas entamer par les disparités sociales, est pour eux une manière de les combattre et fait d'Alice Rohrwacher une cinéaste italienne totalement moderne.

Virginie Apiou

Alice Rohrwacher
Rencontre avec Alice Rohrwacher le mardi 13 octobre à la Comédie Odéon à 15h
Elle présentera aussi
Heureux comme Lazzaro le dimanche 11 octobre au Cinéma Comœdia à 14h45
Corpo celeste le dimanche 11 octobre au Lumière Terreaux à 20h15 et le lundi 12 octobre au Cinéma Opéra à 20h15
Les Merveilles le lundi 12 octobre à l'Institut Lumière à 17h45 et le mardi 13 octobre à 17h45 au Pathé Bellecour