Cannes à Lyon : Suzanne Lindon, réalisatrice de Seize printemps


Cannes Selection 2020 

 


Posté le 13.10.2020 à 18h44


 

Chaque jour, les cinéastes de la Sélection officielle Cannes 2020 nous racontent leur passion du cinéma. Parce que les films d’aujourd’hui naissent de ceux d’hier.

 

Le film classique qui vous a le plus marqué ?

La Fièvre dans le sang, d’Elia Kazan. Je l’ai découvert très jeune, et je sais qu’il m’accompagnera toujours. La mise en scène m’avait marquée bien sûr, mais il y a eu autre chose. Une espèce de souffrance que j’ai ressenti en le voyant. Je me suis sentie fiévreuse. J’ai vu des acteurs qui brûlaient d'envie et de désir, et je crois que c’est grâce à ce film que pour la première fois, j’ai ressenti le besoin de tomber amoureuse. Il raconte l'empêchement de deux personnes à être complètement ensemble, et c’est cette retenue, le fait qu’ils n’osent pas, qu’ils n’y arrivent pas, qui est révoltant. À tel point que ça vous donne la rage.
Je me souviens de la voix tremblante de Natalie Wood, de son regard à la fois si intelligent et tellement désoeuvré. J’étais bouleversée. Puis la beauté de Warren Beatty et son abnégation me le faisait à la fois l’aimer et le haïr. La fougue des personnages m’envahissait, j’avais envie d’être eux. En voyant ce film pour la première fois, j’ai compris qu’il n’y avait pas plus déchirant, et universel que les histoires d’amour.
C’est aussi l’histoire du temps qui passe, parce qu’à la fin, Bud, le personnage de Warren Beatty trouve quelqu’un d’autre. Je me souviens de cette scène, à la fin du film, lorsque Natalie Wood vient lui rendre visite, et qu’elle le découvre avec sa nouvelle femme. J’en étais malade, tellement, que je parlais à voix haute. Bizarrement, c’est un des films les plus violents que j’ai vu. Je crois que je ne m’en remettrai jamais complètement, un peu comme une rupture dans la vraie vie.


Le cinéaste dont vous avez le plus appris en voyant ses films ?

Maurice Pialat. Le premier film que j’ai vu de lui c’était À nos amours. Je suis restée sans bouger pendant toute la durée du film. C’est un film qui m’a choquée, qui m’a déplacée. J’avais envie d’être dans le cerveau de Pialat, de comprendre comment il les avait dirigés, comment il avait imaginé tout ça. J’aime les gens libres, et qui créent sincèrement. Quand j’ai découvert son cinéma, j’ai vu les films les plus libres du monde. Et puis, j’aime les cinéastes qui aiment les acteurs, qui les dévorent en les filmant. Quand j’ai vu Loulou, c’était jouissif de voir Depardieu et Huppert jouer et d’imaginer que pendant toutes ces scènes de repas, qui sont vertigineuses de par leur mise en scène et leur véracité, Pialat était derrière, et qu’il orchestrait tout. Et puis, il y a de la colère, de l’autorité mais aussi de l’humour et beaucoup de pudeur dans son cinéma. Pour moi c’est un génie, il filme la vie comme personne.


Une scène particulière de l’histoire du cinéma qui vous a inspiré ?

Dans A bout de course, de Sidney Lumet, un dîner de famille pour l’anniversaire de la mère. River Phoenix, le personnage principal du film, vient d’arriver dans le New Jersey avec le reste de sa famille fugitive, qui se cache du FBI. Dans son lycée, il rencontre Lorna Phillips, jouée par Martha Plimpton, dont il tombe amoureux, et il décide de l’inviter à ce dîner d’anniversaire. Il ne peut pas lui dire qui il est vraiment. Il est obligé de le lui cacher et de mentir sur l'identité de ses parents et de son frère. Mais au cours du dîner, Lorna s’intègre, à tel point qu’on dirait qu’elle fait partie de la famille.
C’est en débarrassant la table, que Judd Hirsch, le père de River Phoenix dans le film, augmente le son de la radio : c’est Fire and Rain de James Taylor qui passe. Lorna commence à fredonner la chanson, et le père l’invite à danser. À ce moment précis, où son amour et sa famille sont réunis, on comprend pourtant que le personnage de River Phoenix devra faire un choix entre les deux. Ils se mettent tous à danser ensemble, unis, loin du poids qu’ils vivent quotidiennement : celui de mentir à tout le monde pour se protéger. C’est une scène joyeuse mais aussi empreinte d’une tristesse infinie. La première fois que je l’ai vu, j’avais 11 ans. J’ai mis sur pause, et j’ai pleuré une demie heure.


Un acteur ou une actrice du passé que vous auriez aimé filmer ?

Patrick Dewaere. Parce qu’il a les yeux mouillés même quand il sourit, même quand il est joyeux. Il me touche. Il est différent, Patrick Dewaere, et il était malheureux, donc quand je le vois, j’ai envie de l’aider, de l’aimer. Ce n’est pas de la pitié, jamais. C’est de l’admiration. Et puis, j’ai l’impression qu’il ne joue pas mais qu’il est. C’est lui que j’aurais eu envie de filmer, pas le personnage que je lui aurais écrit. Je crois qu’il y a des gens qui sont tellement rares, tellement géniaux et à part, qu’ils deviennent presque des monstres. Patrick Dewaere c’est ça. C’est un monstre d’acteur, un monstre de charme, et un monstre d’émotion. Pourtant, il n’est jamais effrayant, au contraire, il n’est que touchant. C’est un acteur qui m’aurait tout inspiré.


Le film classique que vous n’avez pas vu et que vous rêvez de voir ?

L’Extravagant Mr. Deeds de Frank Capra. C’est la plus grosse frustration que j’ai eu au cinéma. Il y a cinq ans, j’étais allée à la Cinémathèque pour le voir. J’en rêvais, cela faisait très longtemps que je voulais le découvrir mais le film était introuvable. Je me revois m’installer dans la grande salle, cinq minutes avant le début du film quand j’ai reçu le coup de téléphone d’un garçon avec qui j’avais rendez-vous à l’époque. Je l’avais complètement oublié, et il m’attendait. J’en étais malade.
Évidemment, je lui ai dit que j’étais en route, et que j’avais juste un peu de retard. Du coup, j’ai pris mes affaires et je suis partie de la salle à toute vitesse, sur le générique de début. C’était horrible. Je me rappelle encore que pendant le rendez-vous, je regardais ma montre, en imaginant qu’à cet instant précis, le film venait de se finir. Depuis ce jour-là, je crève d’envie de le voir, mais je n’avais jamais réussi à trouver un dvd. Et, il y a quelques jours, j’ai trouvé quelqu’un qui en avait un et qui me l’a prêté. J’ai bien senti que c’était très précieux parce qu’il a beaucoup insisté pour que je lui rendre très vite. Donc je vais le voir très vite !

 

 

 


Seize printemps -visuelSeize printemps de Suzanne Lindon (2020, 1h14)
Suzanne a seize ans lorsqu’elle tombe amoureuse d’un homme plus âgé qu’elle… Un premier film prometteur sur le récit d’un moment intime, avec Arnaud Valois.
Sortie en salles : 9 décembre 2020
Production : Avenue B. Productions
Vente : Luxbox
Distribution France : Paname Distribution
Pathé Bellecour me 14 18h30

Catégories : Lecture Zen