Posté le 12.10.2020 à 11h25
Portée par un marché en plein essor, la restauration des films permet aux classiques de retrouver leur éclat et les salles de cinéma, comme ici au Festival Lumière. Retour sur les étapes et les enjeux de ce minutieux travail d’orfèvre.
Philosophie : l’objectif de la restauration est de retrouver l’œuvre telle qu’elle a été diffusée la première fois. L’entreprise paraît parfois utopique car il est souvent difficile, lorsque les films sont très anciens, de savoir précisément comment ils ont été pensés visuellement. Il existe donc une part d’interprétation de la part des techniciens des laboratoires. Sans consigne, ils tentent de respecter les aléas techniques auxquels le film a été soumis et se demandent dans quelle mesure son auteur a pu en jouer. Les professionnels soulignent qu’il n’y a pas de vérité absolue dans la restauration, chaque film possédant des problématiques qui lui sont propres.
Éthique : les restaurateurs s’appliquent à effacer les usures du temps et à ne pas travailler sur les défauts d’origine. Mais certains commanditaires peuvent attacher de l’importance à « nettoyer » l’œuvre de ses imperfections. D’aucuns vont ainsi considérer qu’un poil caméra n’est pas esthétique et que l’opérateur ne le souhaitait pas. D’autres vont en revanche réclamer sa conservation parce qu’il fait partie de l’histoire du film. Le curseur oscille toujours entre ces deux points de vue.
Préparatifs : un gros travail de documentation sur l’œuvre - notes du réalisateur, directives de production, versions disponibles… - est effectué pour éclairer les techniciens sur les choix visuels décidés à l’époque de sa réalisation.
La remise en état « mécanique » : les négatifs originaux sont remis en état afin qu’ils supportent le passage en machine lors de la numérisation. Les collures d’origine, situées entre chaque plan, sont renforcées ou recrées si elles sont fragilisées. Les perforations endommagées et les déchirures présentes sur la pellicule sont réparées. La longueur de ce processus dépend de l’âge et de l’état du film. Elle dure en moyenne un mois.
L’essuyage et la numérisation : une fois réparé, le négatif est « essuyé » : il est passé dans une machine émettant des rayons ultrasons qui vont le débarrasser des poussières incrustées. Le film est ensuite scanné et numérisé image par image. Des milliers de fichiers vont alors être générés, autant de fichiers qu’il y a d’images sur le négatif.
La restauration de l’image : toutes les usures du temps sont effacées image par image à l’aide d’une palette graphique et d’un logiciel : rayures, tâches, éclats de gélatine, ou traces de poinçons. Le logiciel se sert des images situées avant et après l’image défectueuse pour reconstituer la zone à réparer.
L’étalonnage de l’image : les techniciens réajustent la colorimétrie du négatif couleur, ou sa densité et ses contrastes pour un film en noir et blanc. C’est une phase importante car de sa réussite dépend l’harmonie des plans entre eux et le maintien de l’identité visuelle du film.
La numérisation du son : ce procédé s’opère en parallèle à celui de l’image. Les négatifs sont scannés et numérisés. Les contrastes, les saturations et les montées de souffles sont contrôlés. Les « clic » et les « plocs » sont retirés pour permettre l’intelligibilité des voix. Ce travail n’est jamais réalisé sur les sons originaux, qui se comptent par centaines, mais les mixages.
La sauvegarde photochimique : à l’issue de sa restauration numérique, le film est imprimé sur un négatif 35 mm en polyester pour assurer sa sauvegarde à très long terme, l’efficacité des sauvegardes numériques n’étant pas encore connue.
Prix : le prix d’une restauration dépend de l’âge du film et de son état avant le début du processus, mais il s’échelonne généralement entre 80.000 et 200.000 euros, retour sur film inclus.
En France : Les aides du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), qui peut financer jusqu’à 90% des devis de restauration, dope le marché français. L’intérêt pour cette discipline est également croissant grâce aux nombreuses initiatives de festivals (comme le festival Lumière !) ou de diffuseurs d’événements liés à la restauration comme la Cinémathèque Française.
Quelques exemples : à l’instar d’un Jacques Tati, qui a remixé toute son œuvre avant sa mort, certains metteurs en scène profitent d’une restauration pour corriger un oubli ou un regret. Jean-Paul Rappeneau, par exemple, a souhaité atténuer les aigus de la voix de Marlène Jobert dans Les Mariés de l’an II (1971). Quant à Jean-Marie Poiré, il a tenu à gommer la présence de son équipe technique, « oubliée » dans l’arrière-plan d’une scène des Visiteurs (1993). Parfois, les restaurateurs se heurtent à de petites subtilités, comme dans Week-end (1967), de Jean-Luc Godard, où un décadrage de l’image était en fait un choix artistique du réalisateur. Des annotations de Louis Feuillade sur la série des Fantomas ont permis de la rénover dans son « bleu nuit » d’origine. Autre exemple : une version de Querelle (1982), de Rainer Werner Fassbinder, contenant une scène « hard » censurée en France, a été retravaillée pour donner à voir le travail initial du cinéaste.
Benoit Pavan