Posté le 7.10.2020 à 15h45
"Mon frère. Je ne pourrais pas faire ce film sans lui et lui ne pourrait pas le faire sans moi" écrit Luc Dardenne dans les années 2000. C'est peut-être parce qu'ils créent ensemble que les frères Dardenne travaillent fiévreusement une œuvre qui nous dit à tous, selon une de leurs formules : notre "besoin d'un autre". Le cinéma des frères Dardenne au festival Lumière, ce serait la rencontre entre L'Aurore (F. W. Murnau, 1927) et L'Homme qui tua Liberty Valance (John Ford, 1962). Le mélange de séquences miraculeuses et romanesques, avec des dilemmes et des trafics en territoire Far Ouest, où surgit la vérité des hommes, sociale et politique.
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Il y a d'abord un fleuve : la Meuse. Il traverse la ville des Dardenne, Liège, et régule de part et d'autres leurs récits. Les berges offrent aux marginaux de L'Enfant (2005), Le Silence de Lorna (2008), ou La Promesse (1996), un bivouac. Les héros, cow boys citadins itinérants, survivent au creux des éléments naturels formant un refuge fiable pour Le Gamin au vélo (2011) planqué dans les arbres, ou Le Jeune Ahmed (2019) arpentant les champs. Rosetta (1999) et le fils de La Promesse, enterrent des objets dans un sol rendu meuble par un temps toujours humide.
Dans ces westerns urbains, grand genre d'extérieur, la météo inhospitalière pousse à la tension, met les nerfs à vif. L'humidité froide harcèle le dos de Rosetta, rend plus difficile la course contre le vent du jeune homme de La Promesse. La chaleur sèche exacerbe les tensions intérieures du jeune Ahmed, écrase la chômeuse de Deux jours, une nuit (2014) en perpétuelle circulation, pressée par un compte à rebours social intenable dans une ville qui lui ferme ses portes. Mobilettes fiévreuses, marches menacées, ou trajets inquiets en voiture et à vélo, sont le quotidien de personnages traqués, acculés socialement, entre provocation, tension et poursuite.
Quelques rares instants d'oubli transpercent ceux qui, comme Rosetta, ne veulent pas "tomber dans le trou". Cousine des franches scènes de danses des westerns fordiens, la récréation chez les Dardenne est simple et populaire autour d'un air de variétés, un karaoké entre le jeune héros de La Promesse et son père tyranique et meurtrier, chantant ensemble des paroles sans conséquences de Siffler là-haut sur la colline de Joe Dassin. Cette capacité à passer du drame intense à la légèreté se fait d'autant plus naturellement qu'elle est investie par la jeunesse. Quand on leurs pose la question de cette jeunesse qui domine leur oeuvre, les deux frères répondent que les jeunes gens ne savent pas encore qui ils sont et qu'ils n'ont pas conscience de leur "besoin d'un autre". Ils sont des pionniers, ils n'ont pour atout que leur énergie physique et leurs espoirs. Tout est à faire. Ils ont tout à apprendre.
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L'apprentissage, leçon de solidarité sociale et politique, passe par le travail souvent manuel et modeste. Il éduque Le Fils (2002), innerve Rosetta, Deux jours, une nuit, ou La Fille inconnue (2016). Un métier sort de la clandestinité, donne un statut social. Dans ce but, les héros des Dardenne se battent physiquement, trahissent ceux qui les aiment. Ils sont le mari de L'Aurore qui trahit sa femme en voulant l'assassiner. En état de survie, ils deviennent obsessionnels jusqu'à l'ambiguité, ils sont John Wayne dans La Prisonnière du désert, ils commettent des actes insensés. Rosetta vole le travail du garçon qui l'aide. Le jeune père de L'Enfant vend son bébé. Ahmed tente de tuer une femme.
Face à cette montée folle, les Dardenne oppose une surprise choquante par sa douceur ou sa violence qui stoppe net. C'est une chute mate pour le gamin au vélo, et le jeune Ahmed. Ce sera un bras qui vient relever Rosetta en pleurs, et l'on pense au mari qui soutient soudainement par la taille, sa femme défaillante dans L'Aurore. C'est Lorna qui se met nue pour étreindre le garçon qui souffre face à elle. Ces éclats d'amour sont, selon une expression portée par les Dardenne, des "appels de la vie". Les personnages peuvent alors vaincre leur peur, proclamer leur apaisement comme l'héroïne à la fin de Le Vent, western fabuleux de Victor Sjöström (1928). Jean-Pierre et Luc Dardenne savent finir leurs histoires où même les héros les plus fragiles comprennent instinctivement qu'il n'y a pas de fatalité.
Virginie Apiou
Jean-Pierre et Luc Dardenne, Prix Lumière 2020
CONVERSATION avec Jean-Pierre et Luc Dardenne le vendredi 16 octobre aux Célestins, Théâtre de Lyon à 15h
REMISE DU PRIX LUMIÈRE à Jean-Pierre et Luc Dardenne le vendredi 16 octobre à l’Amphithéâtre - Centre de Congrès à 19h30
Ils présenteront aussi
Deux jours, une nuit le mercredi 14 octobre à l'IRIS / Francheville à 20h30 et le jeudi 15 octobre à l'Institut Lumière à 21h
La Promesse le jeudi 15 octobre au Pathé Bellecour à 10h45
Je pense à vous le jeudi 15 octobre à l'UGC Ciné Cité Confluence à 17h
L'Enfant le dimanche 18 octobre au Pathé Bellecour à 14h30
Le Gamin au vélo le dimanche 18 octobre au Lumière Terreaux à 17h15