Posté le 7.10.2020 à 17h
« Je suis contre la discipline » affirme le photographe Robert Doisneau dans l'unique documentaire réalisé en 1992 par Sabine Azéma, intitulé : Bonjour monsieur Doisneau.
« Je suis contre la discipline », c'est aussi le mantra caché derrière chaque personnage incarné par Sabine Azéma.
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Être contre la discipline, pas tant par rébellion, que pour une question de rythme. Sabine Azéma est trop agitée pour la discipline. Elle joue sans se laisser le temps de reprendre son souffle. En près d'une cinquantaine de films, la comédienne aux cheveux incandescents, a construit une carrière où, comme le disait Gérard Oury, avec lequel elle a tourné deux longs-métrages (Vanille fraise, 1989, Le Schpountz, 1999), : "il est poli d'être gai-e". Cette gaieté a fait d'elle une grande actrice de comédies, incarnant pleinement la joie, l'enthousiasme, la surprise mal élevée notamment dans les satires sociales chères à Etienne Chatiliez (Le bonheur est dans le pré, 1995, Tanguy, 2001, Tanguy, le retour, 2019). Cette allégresse a aussi un verso tout en gravité sacrée, que le festival Lumière propose de découvrir, ou redécouvrir, à travers trois visions de cinéastes sur Sabine Azéma, celles de Bertrand Tavernier, Alain Resnais, et, Arnaud et Jean-Marie Larrieu.
Impossible d'évoquer Sabine Azéma sans penser à Irène, enfant chérie d'Un dimanche à la campagne de Bertrand Tavernier (1984). Ce personnage valut à la comédienne son premier César de la meilleur actrice en 1985, et montre à quel point Tavernier, tel un peintre impressioniste, travaille les nuances. Irène, c'est la fille émancipée qui débarque en conduisant à cent à l'heure pour une visite familiale au creux d'un bel été de 1912. Exubérante, Irène n'a ni le temps de reprendre son souffle quand elle parle, ni celui de laisser les autres intervenir. Elle a le courage de la modernité, quitte à être par instants injuste avec sa famille. Et si Tavernier semble laisser Azéma-Irène, déployer son énergie contagieuse, sa caméra la poursuit également dans ses moments où le souffle se fait court, où le silence de l'incertitude s'installe. En 1989, Sabine Azéma retrouve Tavernier, pour un rôle grave et retenu, dans La vie et rien d'autre. Son personnage s'appelle... Irène ! Elle surgit telle une antilope dans la France ravagée de 1920, épouse sublime et délicate sur les traces de son défunt mari. Avec ses deux Irène, soeurs de cinéma, ou même personnage quelques années plus tard (?), Sabine Azéma livre un jeu bipolaire, entre fougueuses espérances et volonté raisonnée de femmes qui assument leurs choix et avancent.
Avec Alain Resnais, pendant une trentaine d'années et une dizaine de films, Sabine Azéma a respiré en eaux profondes, celles de la mystérieuse recherche du bonheur. Pour Resnais, Azéma casse son rythme de jeu frénétique immédiat et s'asseoit pour parler. Elle prend la vibration, le bouillonnement intérieur des êtres passionnés, amochés par amour. Elle est notamment l'ardente Romaine de Mélo (1986), ou la pieuse Charlotte au rire ravissant de Coeurs (2006). Entre Mélo et Coeurs, deux titres directs qui affichent la couleur, transpire une Sabine Azéma qui utilise son souffle, comme les gens timides s'élancent pour avouer leur envie d'être au monde. Le besoin d'y croire. Azéma embrasse des personnages jamais sophistiqués, mais qui, au contraire, tendent à la simplicité, dans l'espoir de mieux se faire découvrir, quelle qu'en soit l'issue. L'interprétation de la fantastique Romaine qui échappe à tout, dans Mélo, valut à Sabine Azéma un second César de la meilleure actrice en 1987.
En 2005, Sabine Azéma ajoute encore un autre rythme à son jeu de comédienne. Elle entre dans l'univers de météorologie variable d'Arnaud et Jean-Marie Larrieu avec cette équation insoluble : Peindre ou faire l'amour. Avec les deux frères cinéastes, tout est une histoire de respiration sensuelle, y compris pour Madeleine, bourgeoise curieuse jouée par Azéma, qui en "a ras le bol de peindre des natures mortes" et découvre le mystère de la transgression des sens. La comédienne adapte son souffle. Il n'est plus seulement guidé par les mots. Il devient aussi celui de tout son corps. Azéma transforme Madeleine en femme prête à tout, comme Irène(s), Romaine ou Charlotte... loin de la discipline.
Virginie Apiou
Sabine Azéma
Rencontre avec Sabine Azéma le mercredi 14 octobre à la Comédie Odéon à 15h30
Elle présentera aussi
Un dimanche à la campagne le mardi 13 octobre à l'Institut Lumière à 16h30
Bonjour Monsieur Doisneau ou le photographe arrosé le mardi 13 octobre à l'Institut Lumière à 17h15
Mélo le jeudi 15 octobre au Pathé Bellecour à 18h30
Peindre ou faire l'amour le vendredi 16 octobre au Cinéma Comœdia à 10h45
Cœurs le samedi 17 octobre à l'Institut Lumière à 16h30