Garde à vue

Lorsque Michel Audiard découvre la Série Noire A table ! de John Wainwright, il en acquiert immédiatement les droits. C’est le roman sous le bras qu’il se rend dans les bureaux des Films Ariane. Cette adaptation est donc un projet de producteurs et un film de commande pour Claude Miller. Mais le réalisateur souhaitait à ce moment-là mettre en scène une histoire qui ne viendrait pas de lui, afin de se concentrer sur son métier de cinéaste. Michel Audiard est évidemment engagé pour écrire les dialogues. Miller se dit alors « tout à fait partant pour les situations dramatiques cruelles qu’il envenime ». Le dialoguiste nourrissait de son côté une envie de film d’acteurs, de textes, à l’action plus resserrée qu’à l’accoutumée et au sujet plus sec. Heureux timing.

Garde à vue, huis clos où interviennent quelques flashbacks, est le face à face de deux coriaces. L’affrontement verbal d’un duel, parfois un duo. Lino Ventura est le flic froid, terrien – à qui Audiard n’a pas donné de mots d’auteurs, incompatibles avec son personnage. Michel Serrault est quant à lui le suspect, ce notable hâbleur et insaisissable, arrogant et pitoyable – personnage qui a gagné en profondeur lors de l’adaptation. « L’un à la force, l’autre à la ruse. » (Michel Audiard). Intervient enfin, dans cette fastueuse distribution, Romy Schneider, l’épouse du suspect, à la vengeance sourde et à la main froide. Garde à vue est un film noir, profondément pessimiste, une mise à nu qui fait craquer le vernis de la province.

« Le thème de Garde à vue, malgré l’habileté un peu convenue qui préside au récit, gagne pourtant le plein régime de ses forces obscures. Des meurtres, un flic, un suspect, un délateur. Rien que du classique et pourtant le film est comme dépassé par l’ambiguïté qu’il suggère. Audiard a souvent adapté Georges Simenon et il a conduit cette histoire vers les chemins à la fois dénudés et obscurs de l’auteur de La Mort de Belle. Ici, comme chez Simenon, le suspect investit la culpabilité que lui propose l’Autre ; il la soupçonnait en lui, et il commence à s’y mouvoir avec des alternances d’hébétude, d’horreur et de confort. » (Jacques Fieschi, Cinematographe n°71, octobre 1981)