À l’origine, Otto Preminger, brouillé avec Daryl F. Zanuck, le patron de la Fox, devait n’être que le producteur de Laura, un projet auquel il était le seul à croire. C’est Rouben Mamoulian, auréolé de ses succès, Le Signe de Zorro et Arènes sanglantes, qui est chargé de la réalisation. Mais après deux semaines de tournage, des désaccords apparaissent et il est remercié. Preminger reprend alors la direction, tout en demeurant producteur. Les exégètes s’interrogent encore pour savoir s’il a conservé le découpage initial de Mamoulian ou des séquences tournées par celui-ci.
Jalon inoubliable du genre noir, Laura est avant tout un film sur l’absence et le désir. L’héroïne est devenue une figure obsessionnelle pour les trois hommes, sa mort passe au second plan et c’est son ombre mythique qui illumine le film. Et lorsque de son cadavre défiguré surgit un sublime fantôme, l’intrigue débouche sur une autre dimension. Un dilemme se pose alors : cette chimère fantasmée peut-elle redevenir une simple humaine, presque banale aux yeux du monde, ou faut-il empêcher que le mythe se dégrade ?
Laura illustre un cas rare de transformation d’une action classique – le roman de Vera Caspary est un bon polar traditionnel – en un objet poétique de première grandeur, sans qu’on sache quel est le responsable de cette opération alchimique. Preminger, grand réalisateur par ailleurs, n’a jamais abordé ensuite de tels rivages, Gene Tierney n’a jamais retrouvé un rôle aussi vibratoire, David Raksin n’avait jamais trouvé pour ses quarante-quatre films précédents un thème musical aussi sublime, qui deviendra un standard. Le film a échappé à ses créateurs.
« Dès les premières images, un style s’impose. De l’écran obscur monte une voix d’outre-tombe : "Je me souviendrai toujours de la journée qui suivit la mort de Laura… ". Un motif musical, qui ne nous quittera plus, évoque l’ombre d’une jeune femme sans doute délicieuse, et nous subissons le plus tenace des envoûtements. Le détective erre comme un somnambule dans l’appartement désert, ouvre et ferme les tiroirs, déplace les bibelots et les lingeries, hume les parfums. Et tandis qu’anéanti il sommeille dans un fauteuil, la porte s’ouvre. Laura – miracle du désir triomphant – apparaît, surprise de trouver un étranger dans son sweethome. Nous venons de vivre l’un des grands instants du cinéma d’après-guerre » (Raymond Borde et Étienne Chaumeton, Panorama du film noir américain : 1941-1953, Les Éditions de Minuit).
Laura
États-Unis, 1944, 1h28, noir et blanc, format 1.37
Réalisation : Otto Preminger
Scénario : Jay Dratler, Samuel Hoffenstein, Betty Reinhardt, d’après le roman éponymede Vera Caspary
Photo : Joseph LaShelle
Musique : David Raksin
Montage : Louis Loeffler
Décors : Thomas Little, Paul S. Fox
Costumes : Bonnie Cashin
Production : Otto Preminger, 20th Century Fox Corporation
Interprètes : Gene Tierney (Laura Hunt), Dana Andrews (l’inspecteur Mark McPherson), Clifton Webb (Waldo Lydecker), Vincent Price (Shelby Carpenter), Judith Anderson (Ann Treadwell), Dorothy Adams (Bessie Clary), James Flavin (McAvity), Clyde Fillmore (Bullitt), Ralph Dunn (Fred Callahan), Kathleen Howard (Louise), Tung Foo Lee (le domestique de Waldo)
Sortie aux États-Unis : novembre 1944
Sortie en France : 13 juillet 1946
Restauration 2K à partir du négatif original par le laboratoire DCinex pour Swashbuckler Films et 20th Century-Fox.
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