Le Bateau d’Émile

Dans une ambiance provinciale et portuaire, La Patellière, Audiard et Ventura se réunissent pour une nouvelle collaboration. Évoquant la tradition réaliste des années 30, Le Bateau d’Émile prend pour décor La Rochelle, avec ses bars de marins, son port de pêche, ses rues aux pavés luisants. Le milieu bourgeois des Larmentel s’oppose à celui, bien plus simple, d’Émile, qui se retrouve au centre d’une affaire d’héritage transformée en guerre familiale, où tous les coups sont permis. François, incarné par un Pierre Brasseur ingénieux, essaie de faire flancher le pêcheur en lui proposant sa fille Claude en mariage. Mais pour Émile, impossible de quitter Fernande, sa compagne. Leur couple n’a rien de romantique, au contraire : ils échangent les baisers comme les gifles, les regards tendres comme les insultes. Et leurs grandes envolées sont dialoguées par un Audiard incomparable. « C’est un tendre, Michel Audiard. L’amour véritable se traduit, pour lui, par des engueulades maison ou du silence. Et puis c’est un féroce, Michel Audiard. Ceux qui n’aiment pas et qu’il n’aime pas, il les vitriole. À la petite cuillère ou à grand bol. Ça porte. Et ça laisse des traces. » (Jeander, Libération, 5 mars 1962).

L’interprétation, magistrale, est pleine de saveur et d’humour. Michel Simon est parfait en riche revanchard et le public voit en Ventura un nouveau Gabin. Annie Girardot, acclamée par la critique, rappelle brillamment Arletty. Pleine de vitalité et d’effronterie, elle deviendra une grande amie de Michel Audiard. « Les dialogues de Michel réveillent quelque chose en moi que je ne soupçonnais même pas. Ils sont comme surfilés, c’est une musique qu’il m’est facile de chanter. Je me balade dans cette langue avec légèreté, audace, impertinence. Parfois, on me demande si Audiard était soucieux que l’on respecte son texte. Mais il aurait fallu être fou pour y changer quoi que ce soit ! » (Annie Girardot, Partir, revenir, Le Cherche-Midi).