Le Journal d’Anne Frank

En mai 1945, après avoir suivi l’avancée des troupes américaines en Europe, George Stevens filme le camp de concentration de Dachau, récemment libéré. L’horreur qu'il y découvre changera à jamais sa façon de voir le monde et de faire du cinéma. Quand il apprend, quelques années plus tard, que la 20th Century Fox a acquis les droits du Journal d’Anne Frank, publié en 1947, il se porte candidat à la réalisation.

Il se rend à Amsterdam, raconte avec émotion la découverte de « l’annexe secrète » en compagnie d’Otto Frank, le père d’Anne, seul survivant de la famille. Notamment l’ascension de l’escalier de bois qui mène au grenier : une fenêtre s’ouvre brusquement, un oiseau s’approche, battant des ailes, les deux hommes y voient un signe, une présence. « Otto était fort, mais il s’est tout à coup affaibli sur cette échelle. Nous sommes restés longtemps assis dans ce grenier. J’attendais ses confidences, mais une fois qu’il a eu repris son souffle, il me dit : "Allons faire un tour sur un canal pour échapper à tout cela et nous reviendrons un autre jour". » (cité par Marilyn Ann Moss, in Giant : George Stevens, a Life on Film, University of Wisconsin Press)

Pour jouer l’adolescente hypersensible qui a su si bien raconter sa captivité clandestine de plus de deux ans, les noms d’Audrey Hepburn et de Romy Schneider sont évoqués. Puis le casting s’élargit et c’est la jeune Millie Perkins (née en 1938) qui est choisie. Présenté au Festival de Cannes 1959, le film est accueilli poliment : on lui reproche son origine théâtrale (les scénaristes sont les dramaturges du spectacle monté à Broadway en 1955).

Mais l’universalité du personnage principal frappe les esprits : « À aucun moment, cette Anne ne pose pour la postérité, son premier baiser avec Peter rappelle dignement ceux de tant d’autres jeunes filles américaines », écrit Louis Marcorelles dans les Cahiers du cinéma (n°101, novembre 1959). Le critique a saisi le projet de Stevens : la mort d’Anne Frank au camp de Bergen-Belsen est une tragédie, mais que sa voix puisse se faire entendre est la plus grande des victoires.