Loin des hommes

« Le crime imbécile de cet homme le révoltait, mais le livrer était contraire à l’honneur : d’y penser seulement le rendait fou d’humiliation. Et il maudissait à la fois les siens qui lui envoyaient cet Arabe et celui-ci qui avait osé tuer et n’avait pas su s’enfuir. » (Albert Camus, L’Hôte)

Après Nos retrouvailles (2006), David Oelhoffen s’attaque, pour son deuxième long métrage, à un projet très ambitieux : porter à l’écran (très librement) L’Hôte d’Albert Camus et filmer l’Algérie à la veille d’une guerre particulièrement traumatisante. Un instituteur humaniste, isolé, doit escorter un homme vers sa mort assurée. Il refuse. Mais des événements vont pousser les deux hommes à vivre un temps ensemble.

Servi par la beauté minérale des décors, le cinéaste mène son histoire sur le terrain du western. Ici l’Atlas a des accents du Grand Ouest américain. Pourtant « le mythe derrière Loin des hommes n’est évidemment pas celui de la conquête de l’Ouest, mais celui de la conquête du monde par les idées héritées des Lumières, le mythe de l’universalisme français, qui a rapidement pris la forme du colonialisme, la France généreuse amenant la culture, la liberté… et qui retourne les valeurs humanistes contre les populations locales, qui importe un système injuste. » (David Oelhoffen). La musique envoutante de Nick Cave et du "Bad Seed" Warren Ellis insuffle une tension permanente au rythme lent de l’action.

Et il y a le face-à-face de deux acteurs : Reda Kateb, renfermé, résigné, qui souhaite se livrer pour éviter une guerre des clans, et Viggo Mortensen, parlant français et arabe, fils d’immigrés espagnols, qui n’a jamais été accepté dans ce pays qu’il a tant aimé. Les lignes du Bien et du Mal sont floues, perméables entre ces deux personnages complexes, éloignés de tous. « À l’improbable mais finalement plausible Viggo Mortensen, héros apatride rejeté par toutes les communautés et rattrapé par la violence de son passé, répond, dans les belles scènes de huis clos à ciel ouvert, le jeu retenu de Reda Kateb. » (Thierry Méranger, Cahiers du cinéma n°708, février 2015)